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« Les Nuits sans Kim Sauvage », de Sabrina Calvo, La Volte, 338 p., 19 €.
Petite Poucette improbable, Vic a été abandonnée, sans pouvoir retrouver son chemin, par ses parents en quête d’un avenir radieux impossible avec enfants, dans un hyperstore Ikea, où elle a vécu cachée plusieurs années. Orpheline recueillie par une entreprise du luxe à laquelle elle appartient désormais, elle vivote en journaliste pigiste de mode.
Dans cette bulle futuriste du Grand Paris, le réel, souvent sordide et toujours exigu, s’est largement effacé devant la flamboyance d’un virtuel où une humanité « augmentée » – et en ayant les moyens – se pavane sous les ors pixellisés du luxe fashionable. Chargée d’éclaircir certains aspects rétro d’un vidéoclip antique évoquant un musicien amoureux morfondu et une chanteuse britannique inaccessible, Vic, en compagnie de Maria Paillette, son assistante numérique, légèrement dysfonctionnelle et profondément amoureuse d’elle – jusqu’à la jalousie la plus noire, à l’occasion –, se retrouve entraînée, vacillante et toujours à la recherche d’une place pour son corps et pour son âme, « derrière le décor », dans un univers oscillant lui-même au bord de gouffres insoupçonnés, où tempête à présent la révolte pas uniquement intellectuelle d’une mystérieuse entité nommée « Kim Sauvage ».
Entre 2003 et 2010, William Gibson, opérant lui-même trente-cinq ans après le Roland Barthes de Système de la mode (Seuil, 1967), avait sans doute été le premier écrivain à confronter la mode, ses signes et ses marques absorbantes, à l’informatique avancée et aux réseaux virtuels. Sabrina Calvo, avec l’une des écritures les plus percutantes et les plus originales de l’imaginaire français contemporain, évolue depuis des années sur ces frontières incertaines où se côtoient les développements informatiques bouleversant le quotidien : Toxoplasma (La Volte, 2017), miraculeuse incursion onirique dans une fictive commune autonome de Montréal, avait obtenu le Grand Prix de l’imaginaire, et Melmoth Furieux (La Volte, 2021) déboulonnait de son socle toxique – en toute rage et en toute élégance – la magie Disney, avec ses volutes hypnotiques dignes bien sûr du serpent Kaa. Qui mieux qu’elle pouvait ainsi, presque quinze ans après la fin de la trilogie Identification des schémas, de William Gibson (Au diable vauvert, 2004-2013), reprendre le flambeau des mains du grand auteur canadien pour en conduire une mutation décisive ?
Ce onzième roman de Sabrina Calvo, authentique amoureuse du drapé, du tombé et de la couture juste, avec la complicité savoureuse de Laurent Voulzy et de Kim Wilde, marque certainement un sommet de son art si personnel. La langue s’y déploie avec précision, avec ruse et avec un humour tendre et ravageur. Dans Les Nuits sans Kim Sauvage, l’air du temps, si volontiers frelaté par le marketing tous azimuts du luxe, en prend pour son grade, et se voit offrir généreusement un paradoxal retour à sa source créative et sincère, loin des « augmentations » artificielles.
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